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Déni de justice

mercredi 31 octobre 2007, par AgC
Dernière modification : mardi 11 janvier 2011

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Edito du Monde
Déni de justice
LE MONDE | 12.10.07 | 14h37 • Mis à jour le 12.10.07 | 14h37

Un parapluie volé dans une voiture ? Deux ans de prison ferme. Quelques euros dérobés dans un distributeur de boissons ? Deux ans ferme. L’achat de deux barrettes de cannabis pour une consommation personnelle ? Quatre ans ferme. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 10 août, qui fixe des peines planchers pour les récidivistes, les sanctions tombent, disproportionnées, souvent absurdes, distribuées de façon quasi automatique par des magistrats qui n’en peuvent mais, quoi qu’ils en pensent.

Nombre d’experts, juristes et magistrats, psychiatres et sociologues, avaient pourtant mis en garde : malgré de multiples travaux, aucune corrélation n’a jamais pu être établie entre la sévérité de la peine et le taux de récidive. Mieux même, l’analyse du système de peines planchers instauré aux Etats-Unis ou au Canada depuis une vingtaine d’années démontre qu’il est souvent contre-productif, notamment chez les mineurs, comme l’a souligné la commission de suivi de la récidive du ministère de la justice, il y a quelques mois.

Sourd à ces avertissements, le gouvernement a mis en oeuvre les engagements de Nicolas Sarkozy durant sa campagne et la philosophie répressive qui les inspire : à ses yeux, la sanction est le premier instrument de la prévention. Comme le répète à l’envi la garde des sceaux, Rachida Dati, « nous devons apporter une réponse ferme » à cette France en quête « de sécurité et de tranquillité ».

Ce qui devait arriver arrive donc. Jusqu’à présent, le juge était chargé d’adapter la peine à la gravité des faits ; aujourd’hui, l’infraction suffit à définir la peine. C’est un camouflet pour les magistrats, ainsi soupçonnés de laxisme alors même que les peines n’ont cessé de s’alourdir depuis quinze ans. Mais cela revient surtout à nier les principes du droit français, mais aussi européen : l’individualisation de la peine, la prise en compte du parcours du délinquant, l’équilibre entre les circonstances de l’infraction et la personnalité de l’individu ; le tout à l’appréciation du magistrat chargé, naturellement, de punir la faute, mais aussi d’offrir une chance de réinsertion. C’est ce travail d’orfèvre qui est brutalement remis en question.

Les conséquences sont prévisibles : à l’instar de ce qui s’est passé aux Etats-Unis, la population carcérale va augmenter, voire exploser, alors même qu’avec 60 000 détenus les prisons françaises affichent déjà un taux de suroccupation de 120 %. Or chacun sait que la prison est tout sauf un antidote à la récidive, en particulier pour les petits délinquants.

Vouloir rassurer l’opinion est une chose. Mais à quel prix et pour quel résultat ? Une justice automatique est une justice aveugle. Et une justice aveugle conduit, inévitablement, au déni de justice.

Article paru dans l’édition du 13.10.07.

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  • Introduction :

Au moment où déferle sur notre pays une vague liberticide sans précédent, où les orientations populistes sécuritaires ne cessent de se durcir, où le droit des affaires se voit dépénalisé, où l’idée d’une justice à deux vitesses en faveur des puissants semble entendue, alors même que nous sommes pris en otage par une crise financière d’une rare violence et que le dialogue social semble inexistant, Thomas Lacoste choisit de se saisir du quarantième anniversaire du Syndicat de la magistrature pour revenir sur l’enjeu majeur que représente la justice et sur le lien étroit qui lie l’histoire politique, sociale et judiciaire française.

Ce film-frontières entre entretiens réflexifs, fictions, littératures, oeuvres picturales et créations sonores s’articule autour de onze chapitres (1968 une société en débat, 1970 les prisons de la misère, 1975 repenser le droit du travail, 1981 abolition de la peine de mort, 1990 lutter contre la délinquance politico-financière, 2001 un tournant sécuritaire, 2003 l’immigration choisie, 2008 bilan et perspectives, etc.). Visionner les films (...)